L’héritage de la Résistance dans la création littéraire
Colloque organisé par l’Association Mémoire et Espoirs de la Résistance, à l’Assemblée nationale – salle Colbert – jeudi 16 novembre 2006 sur L’HÉRITAGE de la RÉSISTANCE dans LA CRÉATION LITTÉRAIRE
Ouverture du Colloque par Monsieur Maurice Druon, Français libre et Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie française
M. Maurice Druon, Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie française, président d’honneur de la Fondation de la Résistance, ouvre la séance en saluant les assistants, grands résistants et témoins, ainsi que tous les jeunes gens et jeunes filles des lycées et collèges, et la délégation des élèves de la Légion d’Honneur, qu’il appelle « les demoiselles de France ». Il se réjouit de leur nombre, de leur désir de connaître ce que fut la Résistance et de recueillir ses enseignements. Mémoire et Espoirs de la Résistance, tel est le titre de notre association. Mémoire cela va de soi, mais espoirs ? L’espoir, c’est précisément que les valeurs qui ont inspiré et commandé l’action des résistants soient transmises, pour le bien et de la nation, et des individus. M. Maurice Druon transmet les excuses du président de l’Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, qui nous a permis de nous réunir au Palais Bourbon et qui, retenu dans sa mairie d’Evreux, a tenu à adresser à l’assistance un message, dont il va être donné lecture. A titre personnel, et à l’évocation du nom du président, M. Maurice Druon rappelle que le premier officier qu’il eut, au début de la guerre de 1940, était le futur grand résistant et homme d’état, Michel Debré.
Discours d’accueil par Monsieur Jean-Louis Debré Président de l’Assemblée nationale Monsieur le Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie française, Monsieur le Président de l’Association les Amis de la Fondation de la Résistance, Monsieur l’Ambassadeur, Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de vous souhaiter, à vous toutes et vous tous, au nom de l’ensemble des députés, la bienvenue au Palais Bourbon et vous dire le plaisir qui est le mien d’ouvrir ce nouveau colloque consacré à l’héritage de la résistance dans la création littéraire.
Ce colloque s’inscrit dans le prolongement de celui que vous organisez tous les ans.
Il montre une nouvelle fois combien votre association, Monsieur le Président, est active.
Je voudrais profiter de cette occasion, Monsieur le Président, pour rendre un hommage particulièrement appuyé à l’œuvre de longue haleine de votre association qui nous rappelle opportunément que la mémoire est une richesse pour la nation.
Vous êtes, Mesdames, Messieurs, les gardiens de notre mémoire collective. En ranimant la flamme du souvenir vous faites œuvre de pédagogie et vous défendez utilement les intérêts moraux et l’honneur de la Résistance. Vous êtes les sentinelles de cette mémoire si précieuse et pourtant si fragile. En conservant cette mémoire, en assurant sa transmission aux plus jeunes générations, comme en témoigne la présence ce matin d’élèves des lycées Blomet de Paris, Gérard de Nerval de Noisiel et Janson-de-Sailly de Paris, ou de la maison d’éducation de la Légion d’honneur, vous servez notre démocratie, car plus le temps passe, plus il est important que l’histoire de cette période soit écrite, soit conservée et surtout soit enseignée.
A vous, les plus jeunes, je voudrais vous dire ceci : ayez conscience de la chance que vous avez de rencontrer des résistants, mesurez la force de leur engagement et de leurs convictions qui les ont conduits à risquer leur vie, mesurez l’étendue des sacrifices qu’ils ont consentis pour votre propre liberté. Méditez et imprégnez-vous de leur exemple. Souvenez-vous et transmettez ce souvenir pour que les générations futures n’oublient pas. Car oublier ce serait comme donner raison à la barbarie qu’ils ont combattue.
André Malraux, dont l’Assemblée évoquait avant hier la mémoire à l’occasion du 30ème anniversaire de sa disparition, avait projeté d’écrire un roman sur le maquis, projet auquel il renoncera mais il en avait déjà trouvé le titre qui tenait en un seul mot : NON.
En soi, ces trois lettres étaient tout un programme. Ce seul mot pourrait résumer toute la Résistance et, à travers elle, la substance du gaullisme comme vient de le rappeler avec beaucoup de force le Président de la République en posant le première pierre du nouveau mémorial de Colombey les Deux Eglises.
En ce sens l’appel du 18 juin lancé par le Général de Gaulle depuis Londres, "la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas", est la première œuvre littéraire de la Résistance. La première à contenir ce mot de Résistance.
La Résistance, et c’est une dimension qui n’est pas assez souvent rappelée, ne saurait se résumer à des combats, à des actions militaires de plus ou moins grande ampleur, à des actions politiques. La Résistance, c’est plus que l’histoire d’un affrontement. La richesse et l’intensité de la création littéraire qui s’est exprimée dans la Résistance à travers la presse ou les éditions clandestines, sont là pour en témoigner. Elles montrent que la Résistance est un véritable humanisme, qu’elle a engagé celles et ceux qui y ont participé dans tout leur être, dans toutes les dimensions de la personne humaine et qu’au-delà de la lutte contre un occupant, il y avait la volonté de lutter pour une certaine conception de l’Homme, il y avait la volonté de défendre la valeur incomparable de la personne humaine et l’héritage multi- séculaire de la civilisation occidentale.
L’héritage littéraire de la Résistance est considérable et au-delà de sa qualité intrinsèque il nous rappelle quelles furent les valeurs et le sens du combat de ces femmes et de ces hommes qui ont risqué leur vie pour sauver notre pays.
La création littéraire issue de la Résistance est une littérature d’hommes libres. Dans cette seconde guerre mondiale, qui fut aussi une guerre de mots, cette littérature fut une lueur d’espoir. Une lueur dans la nuit de l’occupation. Mais une lueur aussi pour nous aider à définir la vraie nature de l’Homme.
Aussi n’est il pas étonnant que la littérature, que l’écriture ait tenu une si grande place.
Dans l’éditorial qu’il écrit le 20 juin 1940 pour le numéro 10 de sa revue Fontaine et qu’il intitule "nous ne sommes pas vaincus", Max Pol Fouchet écrit : "nous ne sommes vaincus qu’au militaire. Mais au spirituel nous sommes toujours victorieux"
Il n’y a pas de meilleure illustration à ce jugement, loin d’être évident à l’époque, que l’histoire édifiante des Editions de Minuit fondées en 1941 par Pierre Lescure et Jean Bruller, mieux connu sous le nom de Vercors, dont il signa le Silence de la Mer et La Marche à l’Étoile, deux des dix neuf ouvrages édités par les Editions de Minuit clandestines.
Le Silence de la Mer fut imprimé chez un petit imprimeur du Boulevard de l’Hôpital qui a tiré le livre feuille à feuille entre deux faire-part. C’est Jean Paulhan, la cheville ouvrière de la résistance intellectuelle qui a payé l’imprimeur avec un don anonyme de 5 000 Francs. On a su ensuite, et je ne l’ai appris bien que plus tard, ce donateur était un des amis de Jean Paulhan, à savoir mon grand-père, le Professeur Robert Debré.
Permettez-moi de vous citer à ce propos un article sur Le Silence de la Mer, paru à l’époque à Londres dans le magazine The Observer le 11 juillet 1943 : "cette œuvre qui a vu le jour en même temps que les récents poèmes d’Aragon et d’Eluard prouve bien que le génie français n’est pas tari mais que, malgré le poids obscur de l’occupation allemande il continue de couler comme un torrent sous la glace. Seule de tous les pays occupés, la France continue à produire des œuvres de grand art".
Du grand art ! Comment pourrait-on qualifier autrement les Feuillets d’Hypnos de René Char, autre magnifique exemple, publiés en avril 1946 par Albert Camus dans la Collection Espoir que ce dernier dirige aux Editions Gallimard. Ces poèmes entrés dans le panthéon de notre poésie classique furent écrits par le René Char, connu sous le pseudonyme d’Alexandre, qui, chef départemental de la section atterrissage - parachutage, échappa de justesse à l’arrestation. Un poète au cœur de l’action clandestine la plus risquée au sens le plus physique du terme. On oublie trop souvent que la Résistance donna naissance à une véritable effervescence poétique, dont un autre exemple est la Revue de Pierre Seghers. On oublie trop souvent que la littérature de la Résistance ce sont aussi des essais comme ceux de l’historien Marc Bloch, l’auteur de "l’Étrange défaite" et "d’apologie pour l’histoire". Marc Bloch, le fondateur des Annales mais aussi un des chefs pour la région lyonnaise des Mouvements Unis pour la Résistance, arrêté et torturé par la Gestapo, fusillé le 16 juin 1944. On oublie trop souvent que la Résistance ce furent d’innombrables revues littéraires, des journaux clandestins comme Combat d’Albert Camus qui accueillit aussi Emmanuel Mounier et Raymond Aron.
Il convient aussi de ne pas oublier ceux qui, depuis l’étranger, ont écrit pour la Résistance à l’image de Georges Bernanos, exilé au Brésil.
Comment ne pas évoquer ici, devant vous, en présence de Maurice Druon son neveu, le roman de Joseph Kessel l’Armée des Ombres, le premier roman éponyme sur cette époque terrible.. Publié par les Éditions Charlot à Alger dès 1943, histoire romancée où le personnage de Luc Jardié, mathématicien, chef de réseau est inspiré de Jean Cavaillès, martyr de la Résistance.
Joseph Kessel qui fut avec son neveu Maurice Druon ici présent l’auteur des paroles du Chant des Partisans composé par Anna Marly. « On ne gagne la guerre qu’avec des chansons... » dira Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Largué par la Royal Air Force sur la France occupée, écouté clandestinement, cri de ralliement et d’espoir, véritable monument littéraire, le Chant des Partisans a traversé le temps jusqu’à nous. C’est un véritable succès littéraire et populaire qui a su transmettre l’émotion et la souffrance.
« Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place" "le vent souffle sur les tombes, la liberté reviendra, on nous oubliera, nous rentrerons dans l’ombre... »
Méditons ces paroles de la complainte du partisan et faisons en sorte de les faire mentir. NON, personne n’oubliera la résistance et ceux qui l’animèrent. Nous sommes tous là pour en témoigner. A vous encore présents, permettez-moi de vous dire combien nous vous sommes reconnaissants de cette liberté retrouvée.
Jean Paulhan, dans un texte lumineux, s’est sans doute approché au plus près de l’engagement clandestin de la Résistance : "et je sais, dit-il, qu’il y en a qui disent ils sont morts pour peu de choses. Un simple renseignement, pas toujours très précis ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin parfois mal composé. A ceux là il faut répondre : c’est qu’ils étaient du côté de la vie. C’est qu’ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu’une chanson, un claquement de doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de choses, dis-tu. Oui, c’est peu de choses. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles".
Quoi d’étonnant à ce que la Résistance ait permis la création de si belles pages de notre littérature, quoi d’étonnant que des écrivains qui, pour certains, n’ont pas connu cette période y aient puisé leur inspiration car la Résistance a permis d’exprimer, comme l’on dit d’un fruit ou d’un parfum, ce qu’il y a de plus beau dans l’Homme : la générosité, la gratuité, le renoncement à soi.
Je vous remercie.
Maurice Druon : En préambule du colloque
« Un seul combat pour une seule Patrie » : ce fut le mot d’ordre des Résistances à partir de la fin 1941, je dis bien des Résistances, car il y eut la Résistance extérieure et la Résistance intérieure, et l’on serait injuste quand on parle de l’une, d’oublier l’autre. Elles ont été complémentaires ; elles ont eu à peu près le même nombre d’engagés et de martyrs. La Résistance extérieure ce fut : l’appel du 18 juin, la formation de la France Libre, les Forces Française Libres (les Free French), ce fut aussi Koufra, l’Erythrée, Bir-Hakeim, El Alamein, le ralliement de nombre de territoires coloniaux, la bataille aérienne dans le ciel de Londres, en Russie avec l’escadrille Normandie – Niémen et au dessus de l’Afrique. Ce furent aussi les sous-marins de l’Atlantique et de Mourmansk accompagnant les convois, et les Français de la B.B.C. « qui parlaient aux Français », sous le Blitz, et encore les postes diplomatiques qu’il fallait tenir pour que la France gardât son rang et restât présente dans l’univers, afin que finalement elle soit à la table des vainqueurs lors de l’écroulement du Reich nazi. La Résistance intérieure c’était : les journaux clandestins imprimés dans les caves, les distributions dans les boîtes aux lettres au petit matin, les renseignements transmis à la France Libre ou à nos alliés par les opérateurs cachés avec leurs postes émetteurs, guettés par la Gestapo et ses voitures de radio goniométrie. La Résistance intérieure, c’était les attentats, les sabotages, les trains qui sautent. Et en représailles, les arrestations et les otages fusillés. C’est Pierre Brossolette qui se jette de l’immeuble de la Gestapo, avenue Foch, pour ne pas parler sous la torture. C’est Jean Moulin, venu d’Angleterre pour fédérer les réseaux, et qui meurt sous la torture. Ce sont ces milliers de déportés dans les camps de la mort dont quelques uns, heureusement, ont eu la force de survivre comme Pierre Sudreau et comme Stéphane Hessel que vous entendrez. La Résistance extérieure, l’aventure de la France Libre : c’est la dernière grande épopée de notre histoire. La Résistance intérieure, celle des combattants de l’ombre, c’est la dernière grande tragédie de notre histoire. Epopée, tragédie sont les deux expressions littéraires des destins héroïques. Donc ne nous étonnons pas s’il y a eu une vaste littérature des Résistances. Parmi les catégories de littérature de la Résistance, sur lesquelles nous allons réfléchir, il y a d’abord celle de l’écriture immédiate, la littérature de combat. Jean-Louis Debré, dans son adresse, a cité le Silence de la Mer, de Vercors, publié par Seghers aux Editions de Minuit, et qui reste symbolique de cette catégorie. Il y a aussi Aragon, celui de La Diane Française et du Crève-Cœur, ainsi que Paul Eluard et René Char, trois grands poètes de la Résistance. J’ajouterai qu’une grande partie du journalisme clandestin a été l’une des littératures de Résistance. Je crois que l’on peut rattacher le Chant des Partisans à cette littérature de combat. Comment ce chant s’est il répandu et comment est-il devenu l’hymne de la Résistance ? L’explication vient sans doute du fait qu’il a été écrit dans la Résistance extérieure, par deux hommes qui venaient de la Résistance intérieure ; il a été le lien entre les deux formes de la lutte. Le manuscrit du Chant des Partisans vient d’être classé monument historique, et je l’ai offert au musée de la Légion d’Honneur. Autant qu’à ceux qui l’ont écrit, il appartient à ceux qui l’ont chanté, certains avant de mourir. Il y eut aussi la littérature de fiction, les romans tels que l’Armée des ombres ou le Bataillon du ciel, qui ont illustré deux manières de se battre. Après cette littérature immédiate vient la littérature du souvenir, c’est à dire les souvenirs, les mémoires, les autobiographies, les récits sur les aspects particuliers de la lutte, comme Le sacrifice du matin de Pierre de Bénouville, ou les écrits de Rémy ; on ne saurait citer tous les titres et tous les auteurs. Vint ensuite et enfin l’évocation de la guerre telle qu’elle est apparue dans une quantité de romans, d’essais ou d’études ; bien habile celui qui y arriverait à les dénombrer. Cette masse d’écrits témoigne pour la nature humaine confrontée aux destins extrêmes. Elle témoigne pour ceux qui ne se résignent pas. Volontaire, oui, cela veut dire avoir une volonté. Qu’a voulu le général de Gaulle en lançant son appel solitaire et salvateur ? Qu’ont voulu faire les chefs de réseaux, les d’Astier, Frenay, Lévi Lenoir, Médéric ? Qu’avait voulu faire Michel Debré lorsqu’il noyautait les administrations publiques ? Qu’ont voulu faire les engagés de la 2ème DB du général Leclerc ? Qu’avons nous voulu faire, tous, où que nous soyons, dans un char, un maquis, ou derrière un micro ? Nous avons voulu que les générations suivantes puissent être libres, qu’elles puissent connaître la dignité et les responsabilités de la Liberté… Ces générations, c’est vous. Et, vous voyant, nous pouvons penser que notre combat n’a pas été perdu ! Bonne chance la jeunesse et bonne chance la France !
Jean-Pierre Levert professeur de Lettres : Modérateur du colloque
Avant de donner la parole aux différents intervenants laissez moi rappeler qu’il nous faut ce matin éviter d’évoquer, car c’est un autre sujet et aussi un autre débat, les intellectuels qui ont emprunté les chemins de la perdition entre 1940 et 1945, mais plutôt évoquer les grandes figures de ceux qui ont choisi les sentiers de l’espérance. Jean Lescure dans sa préface A la grande espérance des poètes écrivait : « Redonner du futur à un espérance d’autrefois, redonner du présent à une vie qui se donnait au futur » ces quelques mots résument bien l’engagement de tous les poètes et écrivains et qui je crois conviennent bien au colloque d’aujourd’hui
Fabienne Federini* docteure en sociologie :
Les traces littéraires laissées par les résistants au travers des écrits de Valentin Feldman, et René Char et Jean Gosset
On prête à Jean-Paul Sartre le fait d’avoir déclaré qu’il avait été un écrivain qui résistait, et non un résistant qui écrivait. Or, il s’agit ici de s’intéresser justement à ces résistants, ces intellectuels, – des professeurs de philosophie, des écrivains, des poètes –, qui, tout en étant engagés dans la résistance armée, n’en ont pas moins écrit.
Certains ont rempli des carnets sans savoir si un jour ces textes seraient publiés (je fais référence aux Feuillets d’Hypnos de René Char) ; d’autres ont continué à travailler à leur discipline tels le philosophe Jean Cavaillès qui, dès qu’il était en prison, reprenait son traité de logique ; d’autres enfin ont laissé des témoignages sous forme de journal de guerre (Valentin Feldman, Marc Bloch ), de correspondances (Boris Vildé ), de récits ou de nouvelles (Jean Gosset).
Et même si, comme je viens de le dire, la nature de leur témoignage est diverse, ils ont néanmoins laissé ce que l’on peut effectivement qualifié d’héritage littéraire. Leurs textes nous parlent de ce à quoi ils croient, de ce pour quoi ils se sont engagés dans le combat clandestin ; leurs textes nous parlent aussi de fraternité, d’amitié et de mort.
Tous ces résistants, dont je cite les noms et qui sont, pour la plupart d’entre eux, inconnus du grand public, appartiennent tous à cette catégorie très particulière que furent ceux que les historiens appellent les « pionniers », c’est-à-dire les résistants de la première heure, les résistants des années 1940-1941, lorsque la résistance était balbutiante, la résistance d’avant 1942.
J’aurais aimé vous parler de tous, mais le temps qui m’est imparti ne me le permet pas. J’ai donc fait des choix. Je vais ainsi vous parler tout particulièrement de trois d’entre eux : Valentin Feldman, René Char et Jean Gosset. Ma communication s’organisera donc autour du Journal de guerre de Valentin Feldman (1909-1942), des Feuillets d’Hypnos de René Char (1907-1988) et de la nouvelle « Nuit blanche » de Jean Gosset (1912-1944), paru en décembre 1944 dans la revue Esprit.
Que dire d’eux, sinon qu’ils ont la trentaine en 1940, qu’ils sont tous les trois mariés, que Jean Gosset et Valentin Feldman ont déjà des enfants, qu’ils sont insérés dans la société française, appartenant le plus souvent à son élite culturelle. Jean Gosset est normalien, agrégé de philosophie tout comme Valentin Feldman. Ce ne sont donc ni des ratés, ni des inadaptés tel que le disait un autre pionnier, Emmanuel d’Astier de la Vigerie pour se caractériser à cette époque-là. Ce ne sont pas non plus des aventuriers.
Dans les années trente, ils ont eu tous les trois une activité militante : Feldman est communiste, Gosset appartient à l’équipe de la revue Esprit, Char signe des pétitions et participe aux manifestations antifascistes. Quand la guerre éclate, ils sont volontaires, comme 20% des 90 pionniers effectivement mobilisés . Comme 90% d’entre eux aussi, ils demandent à s’engager dans les unités combattantes. Leur attitude au combat leur vaut l’attribution d’une croix de guerre. Leur refus de l’armistice et de l’occupation nazie est immédiat. Des trois, seul le poète René Char survit au combat clandestin.
I. Le Journal de guerre de Valentin Feldman
Qui est Valentin Feldman ?
Né en Russie en 1909, Valentin Feldman, qui perd son père durant la Première guerre mondiale, arrive en France à 13 ans avec sa mère. Il ne parle pas un mot de français. Après une scolarité au lycée Henry IV, il poursuit ses études de philosophie à la Sorbonne. Naturalisé français en 1931, il devient agrégé de philosophie en 1939. Engagé dans les batailles politiques de son temps (participation à la campagne électorale à Reims en vue de la victoire du Front populaire et organisation du soutien aux réfugiés républicains espagnols de la région de Fécamp), il adhère au parti communiste en 1937. Bien que réformé en raison de problèmes cardiaques importants, il s’engage sur le front en septembre 1939. Son attitude lors des combats de mai-juin 1940 lui vaut l’attribution de la croix de guerre. A l’automne 1940, il devient agent de liaison. Arrêté en février 1942 à la place d’un autre résistant, il est fusillé au mont Valérien le 27 juillet et lance aux soldats allemands chargés de son exécution : « Imbéciles, c’est pour vous que je meurs ! ».
Que nous apprend la lecture du Journal de guerre (1940-1941) de Valentin Feldman, qui part de la drôle de guerre jusqu’à l’engagement dans la résistance ?
Valentin Feldman est hostile aux accords de Munich et, de manière corollaire, il n’est pas pacifiste en 1940 : « On ne payera jamais les conséquences de Munich. Ni pour la paix perdue, ni pour la guerre à gagner. » Pour lui, la guerre qui éclate en septembre 1939 fait donc sens. C’est une guerre contre le nazisme : « c’est encore un de ces dilemmes dont on ne peut sortir : ou on fait la paix ou on fait la guerre […]. Il faut choisir entre une Europe hitlérisée ou la révolte de l’Europe contre cette hitlérisation de plus en plus ample. Tout est là : ou bien on accepte ou bien on refuse ; l’hitlérisme est un des phénomènes contre lequel il faut prendre parti, sans nuances. »
Toutefois, bien que prêt à faire la guerre parce qu’elle représente le dernier moyen après tous les autres employés durant l’entre-deux-guerres, pour faire échec au nazisme et parce qu’il n’y a pas d’autre choix, Valentin Feldman n’a pas, pour autant, de fascination particulière pour la guerre. Il regrette même d’avoir à adopter une pratique sociale, certes adaptée aux circonstances de temps et de lieu, mais très loin de tout ce en quoi il croit :
« Dimanche [12 mai 1940]. Je sens qu’en acceptant la guerre je suis complice de toutes les saloperies dont la conscience, la seule conscience, entraîne mon adhésion aux valeurs qui m’obligent à accepter la guerre. Sacrifier à certaines valeurs toutes les raisons sentimentales pour lesquelles j’accepte sciemment tout le système des valeurs. Tout cela n’est pas nouveau, pas plus que l’histoire de cet homme civilisé, qui un jour combattit contre la barbarie par des moyens barbares et qui est devenu barbare lui-même. Ou devenir barbare en combattant la barbarie, ou accepter la barbarie, en fait, par horreur de la barbarie. Tout est là. Sans doute, le choix est-il une affaire de tempérament : je ne peux accepter passivement, comme je ne peux, pendant un bombardement, rester dans un abri. »
L’entrée en résistance de Valentin Feldman s’inscrit donc dans la continuité du combat antifasciste qu’il mène depuis les années trente. C’est ce qui permet de comprendre non seulement son engagement volontaire de 1939 mais aussi son « refus d’accepter » la débâcle , l’armistice et l’occupation allemande. Ainsi, tout en étant démobilisé militairement, il reste néanmoins mobilisé politiquement : « j’ai passé ma mauvaise humeur à graver sur un morceau de bois un non » . Et ce refus qu’il exprime dès juillet 1940 ne connaît aucune limite : « Résumons-nous : l’extrême servitude vous redonne le goût de la première, de la primitive liberté. Il y a des limites à la servitude : il n’est pas de limites au refus » .
La lecture du Journal de guerre de Valentin Feldman confirme aussi ce que nous avions déjà mis au jour pour d’autres intellectuels, à savoir qu’un certain nombre d’entre eux pense à partir des années 1938 que le témoignage ne suffit pas, qu’il convient de passer à autre chose. Et cet « autre chose » c’est le passage à l’acte, c’est l’engagement dans la résistance active : « Ne se sent-on jamais témoin que si l’on est acteur […]. Ce n’est pas la lecture des journaux qui me fera sentir ma présence dans cette année de grâce 1941 […]. C’est autre chose, bien autre chose, qui donne le sens de la présence historique dans l’historicité concrète du monde. […] Etre c’est parier sur le devenir, par l’expérience du risque. » Quelques mois plus tard, soit juste avant de mettre un point final à son Journal de guerre, il persiste : « L’aventure n’est pas dans les livres. Etre celui qui nie l’aventure parce qu’il fait l’aventure. Et non pas dans le silence docile d’une nuit où, follement, librement, la conscience fut son propre néant »
II. Les Feuillets d’Hypnos de René Char
Qui est René Char ?
Né en 1908 dans le Vaucluse (à l’Isle-sur-Sorgue), René Char adhère au mouvement surréaliste d’André Breton en 1929, qu’il quitte cinq ans plus tard. Engagé dans son temps, il dédie en 1937 son Placard pour un chemin des écoliers aux « enfants d’Espagne ». Engagé volontaire et affecté sur le front d’Alsace, René Char explique en décembre 1941 qu’ « après le désastre, je n’ai pas eu le cœur de rentrer dans Paris. A peine si je puis m’appliquer ici, dans un lointain que j’ai choisi, mais je trouve encore à proximité des allées et venues des visages résignés à eux-mêmes et aux choses. Certes, il faut écrire des poèmes, tracer avec de l’encre silencieuse la fureur et les sanglots de notre humeur mortelle, mais tout ne doit pas se borner là. Ce serait dérisoirement insuffisant. »
Dès 1941, il entre dans la clandestinité et dans la résistance armée, où il se distingue par son courage et son sang-froid. Volontairement, même s’il continue d’écrire, il ne publie rien de 1940 à 1944, justifiant ainsi son attitude : « les poèmes auxquels je travaille resteront inédits, aussi longtemps qu’il ne sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés. Mes raisons me sont dictées en partie par l’incroyable et détestable exhibitionnisme dont font preuve depuis le mois de juin 1940 trop d’intellectuels parmi ceux dont le nom jadis était précédé ou suivi d’un prestige bienfaisant, d’une assurance de solidité quand viendrait l’épreuve qu’il n’était pas difficile de prévoir… On peut être un agité, un déprimé ou moralement un instable, et tenir à son honneur ! Faut-il les énumérer ? Ce serait trop pénible. »
Après la Libération, René Char renonce à toute carrière politique et fait paraître deux recueils de poèmes qui établirent définitivement sa renommée, Seuls demeurent (1945) et le Poème pulvérisé (1947), bientôt réunis dans Fureur et Mystère (1948). Quant aux Feuillets d’Hypnos (1946), c’est ce qui reste des carnets que René Char (Hypnos) a écrits de 1940 à 1944, puisque il en brûla une partie.
Que nous apprend la lecture des Feuillets d’Hypnos et autres écrits ?
Pour introduire ces feuillets, le poète écrit : « ces notes marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils, et décidé à payer le prix pour cela. »
Il revient souvent sur ce que la guerre, la résistance a fait de lui à la fois dans cet aphorisme « agir en primitif et prévoir en stratège » et dans cette lettre adressée à un de ses amis : « je ne veux oublier jamais que l’on m’a contraint à devenir – pour combien de temps ? – un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arctique qui se désintéresse du sort de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l’enfer. »
Et puis pour mieux vous faire comprendre encore ce à quoi les résistants étaient confrontés, les choix qu’ils devaient faire, il y dans les Feuillets d’Hypnos la description précise de l’exécution d’un camarade de combat, prix pour sauver tout un village :
« Horrible journée ! J’ai assisté, distant de quelque cent mètres, à l’exécution de B. Je n’avais qu’à presser la détente du fusil-mitrailleur et il pouvait être sauvé ! Nous étions sur les hauteurs dominant Céreste, des armes à faire craquer les buissons et au moins égaux en nombre aux SS. Eux ignorant que nous étions là. Aux yeux qui imploraient partout autour de moi le signal d’ouvrir le feu, j’ai répondu non de la tête… Le soleil de juin glissait un froid polaire dans mes os. Il est tombé comme s’il ne distinguait pas ses bourreaux et si léger, il m’a semblé, que le moindre souffle de vent eût dû le soulever de terre. Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix. Qu’est-ce qu’un village ? Un village pareil à un autre ? Peut-être l’a-t-il su, lui, à cet ultime instant ? »
René Char dit aussi combien la résistance représente l’espoir : « Résistance n’est qu’espérance. Telle la lune d’Hypnos, pleine cette nuit de tous ses quartiers, demain vision sur le passage des poèmes » . Mais la résistance c’est aussi le sacrifice des compagnons d’armes : « J’aime ces êtres tellement épris de ce que leur cœur imagine la liberté qu’ils s’immolent pour éviter au peu de liberté de mourir. »
III. « Nuit blanche », Esprit, 1er décembre 1944, Jean Gosset
Qui est Jean Gosset ?
Né en 1912 à Montreuil, Jean Gosset est agrégé de philosophie, ancien élève de l’ENS (promotion lettres, 1932) C’est en 1933 qu’il rejoint l’équipe d’Esprit. Il milite aussi au sein des collèges de travail dans le cadre de l’éducation populaire prônée par la CGT. Mobilisé en septembre 1939, il participe à la campagne de Belgique, puis à la bataille de Dunkerque. A l’issue de ces combats, il réussit à échapper à la captivité en s’embarquant pour l’Angleterre. Cherchant à « faire quelque chose » dès sa démobilisation, il entre officiellement dans le mouvement de résistance Libération-Nord en janvier 1942, puis participe à la création du réseau de renseignements Cohors-Asturies aux côtés de Jean Cavaillès, dont il devient l’adjoint, puis le successeur après son arrestation en août 1943. Lui-même est arrêté en avril 1944. Il est déporté à Neuengamme. Il y décède le 21 décembre 1944.
Que nous apprend la nouvelle « Nuit blanche » de Jean Gosset sur la résistance ?
Ecrite en décembre 1943 et publiée par la revue Esprit en décembre 1944, cette nouvelle est un testament, même si elle n’est pas écrite comme tel. Au moment où elle est publiée par Esprit, Jean Gosset est déjà mort, mais la nouvelle de sa mort n’est pas connue. Comme personne ne sait où il est, le texte n’est pas signé. Ce texte raconte donc la nuit blanche d’un résistant (Olivier, c’est-à-dire Jean Gosset lui-même) chargé d’une mission d’espionnage dans une baie bretonne en vue d’une action préparatrice au débarquement des Alliés.
On peut y lire l’un des plus beaux portraits, et sans doute le plus bel hommage rendu par Jean Gosset au philosophe de logique Jean Cavaillès (Dorian), qui fut son professeur à l’ENS quand Jean Gosset était agrégatif. A cette date, ce dernier a déjà été arrêté par la Gestapo (août 1943). « Dorian lui-même, toujours prêt à retenir Olivier et à lui reprocher de s’exposer chaque fois qu’il voulait faire quelque chose, n’avait pas eu d’objection. Guère de danger, en vérité ; mais il lui en fallait parfois beaucoup moins, au patron, quand il s’agissait des autres, et spécialement d’Olivier. Olivier avait longtemps admiré sans comprendre, avant la guerre, ses exploits, ses gageures d’alpiniste . Maintenant, il commençait à en voir le sens ; il croyait possible de lui ressembler, de dominer un jour la crainte du danger qui le quittait encore difficilement, de ne plus avoir à lutter contre lui-même. Il n’atteindrait jamais à la bravoure spontanée, si naturellement associée à la claire conscience des risques, qu’il ne connaissait pas chez d’autres que chez Dorian. »
Il y a aussi une description toute empreinte de tragédie de ce que signifie l’amitié dans la lutte clandestine, cette « fraternité », si intense et si douloureuse, à un moment pourtant où « ce n’était pas l’heure de l’amitié ; c’était l’heure du combat ; l’heure où l’on devait réussir ». « Fraternité toute momentanée dans son intensité, on la sent si fragile qu’on émet anxieusement le vœu de ne pas se perdre de vue, de se réunir… A quoi bon ? Dorian, bien sûr et Gilberte, et Raymond, et… c’est presque tout. Ces amitiés, nées ou fortifiées dans la lutte, leur vérité, même les rend tragiques. Pas seulement la menace de mort, la crainte de perdre ceux à qui on a eu la faiblesse de s’attacher. Jamais le temps de faire vivre et grandir une intimité, jamais le loisir même d’y pénétrer vraiment quand l’absolue confiance ordonne d’enfreindre, pour une fois, le devoir de ne pas le faire. On mourra sans s’être dit, sans avoir vécu l’essentiel, occupés qu’on est à des gestes, à des soucis étrangers et captivants dont on n’aurait pas dû avoir besoin pour se connaître et s’aimer. »
Enfin, malgré la nécessité, qui était de l’ordre de la survie , de maintenir une double vie avec le cloisonnement des activités légales et illégales, il devient plus en plus difficile pour les résistants engagés dans le combat clandestin de continuer à assurer cette double vie au fur et à mesure des années : « On ne mesure pas, en s’engageant dans ce métier de la lutte clandestine, combien il est impossible de le faire en amateur. On apprend peu à peu qu’il faut s’y donner entier, que le travail régulier en souffre, et que le travail libre disparaît. »
Ces trois résistants ont donc essayé de faire ce que René Char résume si bien en avant-propos de son recueil de poèmes Recherche de la Base et du Sommet : « certains jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire ». Ce fut en effet un peu cela leur challenge : comment nous communiquer à nous qui n’avons pas connu cette époque ce que fut leur refus souvent, leur colère parfois, ce qu’ils ressentirent face à la débâcle, puis face à l’occupation nazie ? Or je crois qu’au-delà de ce qu’ils firent, ils laissent des témoignages d’une rare intensité ; témoignages qui nous permettent aussi de mieux comprendre leur engagement résistant à un moment (en 1940/1941) où cela pouvait paraître, où cela peut nous apparaître, comme une pure folie.
Fabienne Federini vient de publier : Ecrire ou combattre : Des intellectuels prennent les armes (1942-1944) aux Ed. A la Découverte.
Intervention de Madame Marie-Claire Dumas * qui évoque Robert Desnos « poète assassiné » et parle plus largement de la poésie de la Résistance :
De Robert Desnos et de sa poésie de la Résistance que reste-t-il ? Sujet que vous m’avez accordé et que j’assume très volontiers. Cette question « Que reste-t-il ? » s‘applique, me semble-t-il, à cette littérature de la Résistance comme à tout acte artistique et littéraire du passé : c’est la question de la transmission, celle de la réflexion sur ce qui est transmis comme celle de sa transformation. En ce sens je voudrais insister sur l’idée de la transformation de ce dont on hérite pour en faire quelque chose dans la continuité, mais aussi dans l’innovation. De ce point de vue là j’emprunte donc tout de suite à Robert Desnos un poème qu’il a écrit, fin 1943 quelques mois avant sont arrestation. Dans ce poème intitulé « L’Épitaphe » il réfléchit très bien, en poète, à la question que nous nous posons aujourd’hui :
J’ai vécu dans ces temps et depuis mille années Je suis mort. Je vivais, non déchu mais traqué. Toute noblesse humaine étant emprisonnée J’étais libre parmi les esclaves masqués.
J’ai vécu dans ces temps et pourtant j’étais libre. Je regardais le fleuve et la terre et le ciel Tourner autour de moi, garder leur équilibre Et les saisons fournir leurs oiseaux et leur miel.
Vous qui vivez qu’avez-vous fait de ces fortunes ? Regrettez-vous les temps où je me débattais ? Avez-vous cultivé pour des moissons communes ? Avez-vous enrichi la ville où j’habitais ?
Vivants, ne craignez rien de moi, car je suis mort. Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps.
Donc, l’enjeu pour nous c’est de savoir s’il dit vrai en disant « Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps », c’est à nous en fait de prendre en quelque sorte le flambeau qu’il nous tend quand il affirme – et cela est très important je pense pour l’attitude du poète résistant – qu’il vivait « non déchu mais traqué » dans Paris occupé, où dans ces années 1940 – 1944 il « se débattait » pour la liberté. Desnos ? C’est un poète qui a écrit pendant les années d’occupation pour communiquer sa haine contre l’occupant et les collaborateurs et exalter la liberté. Il publie alors en contrebande sous son propre nom ou clandestinement sous des pseudonymes. Desnos est donc un poète qui écrit et qui en même temps publie à la différence d’un René Char qui écrit aussi mais qui ne publie pas. Desnos lui pense que communiquer est important à ce moment là. D’autre part à partir de juillet 1942 Desnos est un résistant actif qui travaille dans un réseau de renseignements des services secrets britanniques. Un peu avant sont arrestation, il passe à l’action directe avec un autre poète André Verdet qui appartenait au mouvement Combat. Ils sont arrêtés en février 1944. D’abord prisonnier au camp de Compiègne, Desnos fait partie du « convoi des tatoués » en avril 44. Il est déporté à Auschwitz puis Buchenwald et Flossenbourg pour être finalement transféré dans le camp de travail de Flöha. Une des terribles marches de la mort le conduit de Flöha en Saxe à Terezin en Tchécoslovaquie où il meurt d’épuisement et du typhus le 8 juin : il n’avait pas 45 ans. Alors que reste-t-il des écrits de résistance du poète et qu’en faisons nous ?
Je voudrais vous conduire mentalement à Paris, dans un lieu très impressionnant, le Mémorial de la Déportation qui est situé dans l’île de la Cité. Sur les murs de ce Mémorial sont gravés des textes empruntés à des poètes ou des écrivains résistants. Parmi ces textes deux sont de Robert Desnos. Le premier texte est extrait du poème : « Ce cœur qui haïssait la guerre » :
Car les cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.